Fiche de Lecture – Études de communication, vol. 49, no. 2, 2017 – Une histoire de machines à recommander des biens de consommation : de l’Internet documentaire à l’Internet des données

Pour alimenter mes recherches sur les pratiques d’écoute de la musique et plus particulièrement sur les recommandations sur la plateforme de streaming musical Spotify, étudier ce numéro de la revue Etude de Communication, intitulé Prescription et recommandation : agir et faire agir ? me semble intéressant.

Cet article sera une fiche de lecture (ou comme une liste de choses à retenir) de l’article Une histoire de machines à recommander des biens de consommation : de l’Internet documentaire à l’Internet des données du vol. 49, no. 2, 2017 de la revue Etude de communication, de Jean-Sébastien Vayre. Les éléments dans cet article qui sont mis en avant sont en rapport avec mon sujet d’étude qui porte sur l’utilisation des recommandations dans la pratique d’écoute de musique sur la plateforme Spotify.

Introduction

Pour automatiser de plus en plus la communication avec les clients, de plus en plus d’entreprises utilisent des dispositifs avec intelligence artificielle. Les systèmes de recommandation en font partie. Ce sont des systèmes qui traitent des données des consommateurs (celles produites lors de l’usage) pour savoir à l’avance les préférences et tendances et proposer des produits qui ont plus de chance de les intéresser. C’est considéré comme un dispositif de prescription car l’information est très présente et l’attention des consommateurs est limitée : cela les pousse à consommer.

Ces dispositifs à intelligence à artificielle créer des prescriptions de choix, donc en un sens artificielles, dont l’objectif est de structurer les choix des consommateurs pour « diminuer la charge attentionnelle qu’impliquent leurs activités de recherche d’information marchande ».

Pour la sociologie économique, les systèmes de recommandation peuvent être considérés:

  • Soit comme des façons de mettre en avant la participation des consommateurs pour qu’ils communiquent sur les offres de l’entreprise : les consommateurs contribue à la fabrication de la recommandation car se sont ses données d’usage qui sont utilisés par le système de recommandation. Les informations proposées sont ainsi des informations qui leur paraissent utiles et non imposées.
  • Soit comme des façon de faire travailler les consommateurs en exploitant économiquement leurs données d’usage : le but est de « produire de la valeur marchande pour les e-commerçants ».

« Comment les agents de recommandation font médiation entre l’offre et la demande ? » « Quelles sont les logiques de prescription des agents de recommandation numériques et comment ont-elles évolué dans le temps ? » « Comment les agents de recommandation à intelligence contextuelle (i.e., de troisième génération) performent des logiques de prescription qui sont plus flexibles que celles que mettent en action les agents à intelligences documentaire (i.e., de première génération) et sociale (i.e., de deuxième génération) ? » « Comment cette troisième génération d’agent constitue une parfaite manifestation des solutions contemporaines développées pour lever le paradoxe qui consiste à articuler les logiques d’industrialisation et de personnalisation de la communication marchande à l’ère du numérique ? »

1. L’histoire des agents de recommandation

Les trois types de systèmes de recommandation prescripteurs artificielles font référence à des technologies qui ont évolué avec le développement d’internet.

1. 1. Les agents de recommandation à intelligence documentaire

Les systèmes de recommandation de première génération sont basés sur une analyse de contenu et sur le web 1.0 (passif) qui lui se base sur la documentation (quelqu’un produit du contenu qui est affiché et consulté par d’autres personnes). C’est un échange d’information sous forme d’instruction car la personne qui consulte le contenu ne participe pas à sa production. Le web 1.0 peut être considéré comme une « gigantesque bibliothèque ».

Les systèmes de recommandation de première génération sont basés sur du filtrage de contenu par association item-to-item (Chartron et Kembellec, 2014).

Pour prendre l’exemple du e-commerce, les systèmes de recommandation de première génération recommandent aux consommateurs des produits en fonctions des informations qui caractérisent des biens similaires à ceux consultés.

1. 2. Les agents de recommandation à intelligence sociale

Les systèmes de recommandation de deuxième génération se basent eux sur une analyse qui s’associe au web 2.0 dit collaboratif (Ochi et al., 2010). La fonction documentaire est centrale et s’est améliorée avec le web 2.0 : les utilisateurs ne sont plus contraints à rester passifs mais contribuent à la production de contenu. Le principe de documentation n’est plus le seul principe, s’y ajoute celui de la communication (blogs, forums, réseaux sociaux, etc.). Internet devient un moyen d’expression, d’échange d’information, de partage. C’est aussi un moyen de mise en relation, de participation, de création.

Ces systèmes de recommandations sont construit sur le filtrage collaboratif, « principe de corrélation user-to-user » (Charton et Kembellec, 2014), qui consiste à proposer des contenus selon les évaluations d’autres personnes ayant des profils similaires. Ces évaluations peuvent être implicites (fréquence d’achat, etc.) ou explicite (note, like, etc.).

Le filtrage collaboratif ne se base pas uniquement sur les préférences déclarées par l’utilisateur, mais elles sont complétés par des données sociodémographiques. Théoriquement, ces données peuvent calculer les distances entre des utilisateurs.

1. 3. Les agents de recommandation à intelligence contextuelle

Les systèmes de recommandation de troisième génération se basent sur une analyse hybride : du filtrage de contenu mélangé à du filtrage collaboratif mais aussi aux « technologies sites de machine learning« . Cette génération renvoie au web 3.0 : web des données, web sémantique (Ochi et al., 2010). Cette version est encore en développement aujourd’hui. Le web 3.0 se base sur la documentation et la collaboration. On y ajoute la « servuction » (néologisme de Pierre Eiglier et Eric Langeard pour combiner le service, la production et permet de mettre en avant le fait que « les utilisateurs d’un service peuvent contribuer à sa production ») car avec les objets connectés, les sites consultés quotidiennement, l’utilisateur participe de façon non consciente et involontaire à la construction des services disponibles.

Le web 3.0 se base sur l’échange d’information, la coproduction. Avec l’intérêt grandissant porté sur les données, internet propose de plus en plus de services personnalisés où l’utilisateur produit tout en utilisant (Cardon, 2015).

Cette génération de système de recommandation se base sur le filtrage de contenu, le filtrage collaboratif ainsi que d’autres algorithmes. La diversité de technologies d’apprentissage artificiel qu’on à disposition les concepteurs leur permettent de donner du sens aux données qui avant ne paraissaient avoir aucune valeur. Ces technologies permettent aux systèmes de recommandation de traiter en temps réel (quasiment) un très grand nombre de donnée qui n’étaient pas exploitables avant.

Les systèmes de recommandation de troisième génération ont souvent une intelligence documentaire, sociale, contextuelle (Cardon, 2015 : grâce aux big data, les systèmes de recommandation de troisième génération peuvent prédire les comportements des utilisateurs de façon plus précise).

2. Deux agents de recommandation à intelligence contextuelle

Comment les intelligences des deux systèmes de recommandation contextuelle que sont DataCrawler et DataCognitive autorisent une prescription plus flexible que les systèmes de recommandation à intelligence documentaire ? Comment les systèmes de ces deux entreprises utilisent des logiques de prescription pour maximiser économiquement la recherche d’information des consommateurs tout en autorisant l’exploitation économique des données d’usage des clients ?

2. 1. L’agent de recommandation DataCrawler

Terrain d’enquête : une start up toulousaine spécialisée dans la conception d’outils informatiques pour le e-commerce. Elle propose :

  • un moteur de recherche
  • un agent de recommandation
  • un système de personnalisation de courriel pour les consommateurs

Le plus vendu, c’est l’agent de recommandation. Ce système de recommandation relève de la troisième génération et propose une articulation de 5 algorithmes :

  1. Filtrage de contenu (item-to-item)
  2. Filtrage collaboratif (user-to-user)
  3. Similarité fondé sur la rareté (conçu par l’entreprise) : analyse de contenu, descriptions, images pour « repérer les unités informationnelles » précises.
  4. Personnalisation (conçu par l’entreprise) : fonctionne comme le précédant, mais il se base plus sur la récurrence des actions des consommateurs, que sur la singularité du produit.
  5. Complémentaire : il met en corrélation le filtrage collaboratif, les similarités basées sur la rareté et la personnalisation. Il retient les produits qui ont le plus de probabilité, en fonction des trois algorithmes et « qui sont les moins similaires aux produits de référence ».

L’algorithme d’apprentissage hybride les cinq algorithmes. Il donne la meilleure combinaison possible, en fonction « du taux de conversion (transformation de visiteurs en acheteurs), du nombre de clic sur les recommandations et la durée de consultation de ces recommandations ».

2.2. L’agent de recommandation de DataCognitive

Terrain d’enquête : une start up toulousaine spécialisée dans l’informatique commerciale. Elle propose :

  • Une application de personnalisation de campagne de communication pour e-commerçant.
  • Une application de recommandation de produit
  • Une application pour réduire les abandons de panier
  • Une application de personnalisation de courriel

Le traitement de situation que cette start up créé est une architecture cognitive : « un système de traitement d’information qui associe une architecture cognitive ascendante et une architecture cognitive de type descendante ». Le système de traitement d’information se compose d’un concentrateur, d’un moteur d’inférence et d’une bibliothèque.

Ce système de traitement d’information est utilisé pour manipuler les données de navigations sur sites de e-commerce pour personnaliser l’expérience et suggérer des recommandations. La récupération de ces données permet la construction de schéma de connexion (ex : les personnes qui consultent les produits disques durs « ont tendance à cliquer sur les recommandations de housses de disques durs »).

La bibliothèque permet de communiquer : l’e-commerçant à le contrôle sur ce que la machine apprend et peut inverser le processus en lui donnant des connaissances pour cadrer les activités inférentielles. Le but du système est d’optimiser la performance.

2.3. De nouvelles logiques de prescription

Les systèmes de recommandations de première et deuxième génération forgent des façons de voir les choses vis à vis des possibilités de compréhension de l’organisation des marchés. Pour les systèmes à intelligence documentaire, pour proposer un bien ou service à un consommateur, il faut connaitre les caractéristiques d’un produit que le consommateur trouve intéressant pour lui en proposer des similaires. Pour les systèmes à intelligence sociale, pour proposer un bien ou service à un consommateur, il faut connaître les préférences des autres consommateurs qui ont des profils similaires.

Le système de DataCognitive ne se base pas sur l’hybridation d’algorithmes. Son architecture cognitive permet de mettre en avant des associations pour prédire les tendances.

Les systèmes de recommandation de troisième génération ont leur propre pouvoir de prescription.

Cela créer de nouvelles façons de faire participer les consommateurs car les systèmes font plus attention à la singularité des consommateurs. Les systèmes de DataCrawler et de DataCognitives sont conçus pour optimiser les ventes. Le but étant de donner de l’autonomie aux systèmes pour favoriser économiquement les e-commerçants. On pourrait tout aussi bien penser que les systèmes de recommandation ne servent pas à favoriser l’achat mais à « minimiser la désorientation« .

Les systèmes de recommandation ont deux fonctions : « favoriser la liberté des consommateurs » et « améliorer les performances économiques des e-commerçants ».

Conclusion

Les systèmes de recommandation sont des instruments libéraux qui ont pour objectif de guider les consommateurs et transmettent des logiques de prescription qui renvoient à deux types de représentations :

  • Celles sur la façon de prédire les tendances et préférences des consommateurs
  • Celles sur la façon d’instrumenter ces tendances pour satisfaire à la fois les demandeurs et les offreurs

Les systèmes de recommandation de première et deuxième génération permettent des paramètres de préférences rigides. Les systèmes de recommandation de troisième génération sont moins rigides car ils ont une capacité d’apprentissage pour adapter leurs recommandations en fonction des consommateurs. Cette intelligence est supervisée par les e-commerçants.

Les systèmes de recommandation ont de plus en plus tendance à avoir une nouvelle intelligence qui peut prendre différentes formes pour mettre en corrélation le travail et la participation des consommateurs. Les systèmes de recommandation sont capable d’apprendre à personnaliser la navigation pour les consommateurs. Mais le but reste toujours d’optimiser financièrement les entreprises qui utilisent ce système.

Laisser un commentaire